Pays de la Loire. Quand Retailleau assèche des assos mais paye 50 000 euros pour un opéra-rock sur les massacres vendéens (article blague à part)
Avant tout : petit brouillon de culture ligérienne
Au Ouest-Franc on avait remarqué depuis quelques temps quelques articles ou réactions de personnes travaillant dans le milieu de la culture. A Laval pour commencer, le Courrier de la Mayenne a affirmé que le festival des 3 Éléphants subissait une baisse des subventions de la Région (7000 euros). Au Mans, c’est le festival Puls’Art qui ne reçoit plus aucune subvention, l’association avait touché 9000 euros en 2015 puis plus que 6000 en 2016 selon le Parti socialiste. Comment la Région justifie ce retrait ? Le festival ayant déjà bénéficié de 64 000 euros celle-ci affirme que « il n’est pas anormal que d’autres événements culturels puissent, à leur tour, bénéficier d’un soutien« . Défense discutable lorsqu’on sait que la Région a choisi d’augmenter de 277% les subventions du festival d’Anjou (67 éditions). Idem pour le Vendée Globe qui a bénéficié d’une participation de 6% à 13% de la part de la Région, alors que l’évènement se porte pourtant plutôt bien selon cet article de l’Express datant de 2012.
Pour les 3 éléphants, c’est plus flou, pas trop d’explications. D’autant plus que ce festival ne serait pas le seul évènement départemental à pâtir de ces réductions. Des rumeurs font échos que des théâtres ou d’autres structures de l’agglomération lavalloise subiraient aussi d’importantes coupes budgétaires de la part de la région. Assez logique lorsque que l’on sait que François Zocchetto, maire de Laval, est un proche collaborateur de Bruno Retailleau, le président de la Région Pays de la Loire. Tous deux organisent la campagne électorale de François Fillon. La commune de Laval avait-elle prévu cette défection de la part de la Région ?Et surtout, pourra-t-elle y pallier alors qu’elle sort tout juste « la tête hors de l’eau » ? Nous avons questionné une élue locale, également membre du conseil régional, de confirmer ou démentir les baisses de subventions régionales, pas de réponse…
En 2016, question culture, la Région s’était déjà bien fait remarquer après deux suspensions de subventions. Celles du festival LGBT Cinépride et celui du Hellfest. Les justifications concernant ces coupes budgétaires relevaient davantage du politique que du culturel. Pour Cinépride, la Région reprocha au centre LGBT de soutenir la GPA lorsqu’il avait organisé un débat sur le sujet en novembre 2015. Selon Laurence Garnier (vice-présidente chargée de la culture et du patrimoine) ce débat indiquait une prise de position qui justifiait l’arrêt des aides. Pour le Hellfest, suite au salut nazi d’un chanteur programmé pour le festival (et au refus de déprogrammer celui-ci) la Région a décidé de supprimer les 20 000 euros d’aides pour des « raisons éthiques ».
Selon les organisateurs du Hellfest et du Cinépride, tout ceci n’était qu’un prétexte pour retirer légitimement une subvention pour des évènements culturels que Bruno Retailleau et Laurence Garnier ne veulent pas cautionner. Il est vrai qu’en 2015 dans une émission de France 3, la Vice-Présidente chargée de la culture dénonçait les « propos violents de certains chanteurs « et affirmait clairement ne pas aimer le festival même si elle n’y avait jamais mis les pieds. Par ailleurs, Laurence Garnier s’est toujours farouchement opposée au Mariage pour tous et soutenait en 2004 un député opposé au PACS.
Le 19 février 2016, la ligérienne était l’invitée de Radio fidélité pour présenter la nouvelle politique culturelle de la Région. Elle confirmait ne pas vouloir casser la dynamique de la Région après le mandat de Jacques Auxiette. Concernant le Hellfest, elle annonçait vouloir « respecter la diversité culturelle« , »développer l’excellence » et ne surtout pas être dans « la logique de la table rase« . L’animateur évoqua le Pass culture sport mis en place par B.Retailleau lui-même lorsqu’il était en charge de la culture en 1999. La vice-présidente confirma qu’elle ne reviendrait pas dessus : « Bah il bien évidemment que nous l’allons pas défaire ce que Bruno Retailleau a fait sous un mandat précédent » (mandat de François Fillon jusqu’en 2004 NDLR). Mais selon certains le pass culture sport sera suspendu à la Rentrée 2017. La Région, nous a répondu par email à ce sujet et estime qu’il s’agit davantage d’un report dans l’année scolaire : « Le Pass culture sports, n’est nullement suspendu ou repoussé. Sa forme évolue au profit d’une version dématérialisée qui sera disponible au printemps 2018. Pour assurer sa continuité entre septembre 2017, moment de la fin du Pass sous format chéquier, et le printemps 2018, et ne pas pénaliser les jeunes bénéficiaires, la Région maintient une contribution financière pour les sorties scolaires et la pratique sportive. Cette aide sera directement versée aux établissements scolaires pour subventionner jusqu’à deux sorties par jeune, quant aux fédérations sportives elles conserveront la possibilité de se faire rembourser la participation de 16 € accordée aux jeunes pour l’achat de leur licence« . Le souci est qu’en procédant ainsi, bon nombre de spectacles de spectacles ou festivals ne pourront pas attirer les lycéens puisque les élèves recevront le Pass juste avant la fin de l’année scolaire.
Selon l’humanité, Bruno Retailleau utiliserait la Région comme « laboratoire de la droite » en mettant déjà à l’œuvre à l’échelle régionale ce que Fillon veut effectuer à l’échelle nationale. L’article évoque « une réduction de 10 % des budgets destinés aux associations et aux partenaires sociaux« . En fait chacun peut voir midi à sa porte concernant les subventions culturelles de la Région Pays de la Loire. Que ces subventions aient été supprimées pour des raisons éthiques, personnelles ou juste dans le but de faire des économies, cela relève plus d’un débat politique que culturel. Après l’élection de B.Retailleau fin 2015, il aurait été bien naïf de ne pas s’attendre à des modifications concernant ce portefeuille, même si on nous vendait le contraire, l’exemple du pass culture sport est assez probant. Visiblement la Région veut faire des économies, pour des raisons multiples, et ça B.Retailleau nous le disait dès le début dans son programme. Mais pourquoi financer encore plus alors d’autres projets bien affirmés comme le festival d’Anjou , le Vendée Globe et…un opéra-rock sur la chouannerie ?
Dans ce contexte, peut-on légitimement financer 44% d’un opéra-rock mis en scène par une SARL?
En cherchant des informations sur les baisses de subventions nous sommes tombés sur ce document de la commission permanente du conseil régional. Dans celui-ci, page 2, nous apprenons qu’en novembre 2016 une aide de 50 000 euros a été promise à la SARL l’enchanteur pour son projet de spectacle intitulé Chouans. 50 000 euros peut paraître énorme comme ridicule dans un portefeuille de 50 000 000 millions d’euros. Mais si on rapporte cela au budget prévisionnel du spectacle, on sait que cela équivaut à plus de 44% des dépenses sur les 112 850 euros de budget total. Un tel taux est assez rare dans le milieu. Le spectacle ne pourra pas être bénéficiaire grâce aux entrées car il s’agit d’une cession, c’est à dire que le spectacle est vendu aux différents diffuseurs (Cité des Congrès Nantes, Amphitéa Angers) qui gèrent la billetterie pour leur propre compte. La chose qui interpelle est que le budget prévisionnel ne prévoit que la Première pour être presque équilibré.
Il y a aussi quelques zones d’ombre concernant cet opéra-rock. Nous avons contacté Jean-Pierre Le Scornet (élu P.S, membre de l’opposition). Visiblement lors des discussions, la majorité régionale est restée très floue sur la participation des autres co-financeurs potentiels (conseils départementaux, conseils municipaux ou autres acteurs…). De plus, la SARL l’enchanteur est reliée à la société de Babaïka Productions spécialisée dans « la production de films pour le cinéma » ce que semblait ignorer M. Le Scornet (la convention ne concernait que la SARL l’Enchanteur). Les deux entreprises sont à la même adresse et tenues par Stéphane Simon (Lien de parenté avec Alan Simon ? Ne pas confondre néanmoins avec Stéphane Simon, le grand producteur associé d’Ardisson). Babaïka Productions est pourtant déjà une boîte bien affirmée. Elle a organisé des spectacles tels que « Excalibur » avec Try Yann et un autre Opéra-Rock sur Anne de Bretagne au Château des ducs vers 2009. La ville de Nantes, sous la signature de Jean-Marc Ayrault, avait déjà accordé 30 000 euros à l’entreprise.
Donner un coup de pouce à une boîte de prod n’est pas scandaleux en soi. Mais comment la Région qui supprime des subventions culturelles et sociales à des petites associations peut décemment financer 44% d’un spectacle jusqu’à atteindre 50 000 euros ? Qui plus est le metteur en scène est très loin d’être un inconnu dans le milieu du spectacle. Ses shows sont passés au Zénith de Nantes, ce qui justifie certainement la confiance que lui accorde la Région. Mais où est la logique de retirer des subventions à des petites structures tenues par des associations pour redonner à des entreprises et des metteurs en scène bien affirmés ? Surtout si l’objectif initial de Bruno Retailleau et Laurence Garnier est de faire des économies ou de répartir plus équitablement les aides.
Difficile de comprendre ce choix. Un tel montant ne nous parait pertinent ni d’un point de vue culturel, ni d’un point de vue social et économique. Et si le spectacle concerne les Guerres de Vendée, pourquoi les Conseils départementaux de la Loire-Atlantique, du Maine et Loire et de la Vendée ne financent-ils pas une partie de celui-ci ? A tout cela, le service presse du Conseil régional justifie cette décision par email : « La Région confirme son aide votée à la commission permanente du 18 novembre 2016 d’un montant de 50 000 € pour accompagner la création du prochain spectacle d‘Alain Simon, Chouans. Cette création répond pleinement à l’un des piliers fondamentaux sur lesquels la Région a souhaité orienter sa politique culturelle à savoir : la transmission, pour assurer le partage des héritages culturels aux jeunes générations dans une région riche de sites chargés d’histoire et d’événements marquants. Ce spectacle qui touchera un très grand public permettra de valoriser un temps fort de notre histoire locale qui résonne fortement dans l’histoire nationale. Cette période de l’histoire de France s’enracine tout particulièrement dans notre histoire des Pays de la Loire puisque chacun de nos cinq départements porte l’empreinte de personnages et d’épisodes marquants de la période révolutionnaire. Cette création justifie un soutien exceptionnel de par son envergure populaire. En effet, dans la lignée des précédentes productions d’Alain Simon (Alan en fait, l’auteure s’est trompée dans le prénom NDLR) qui ont touché un large public en Pays de la Loire, telles qu’Excalibur en 1999, ou bien Anne de Bretagne en 2008, Chouans devrait à son tour largement rayonner sur le territoire régional et au-delà. »
Un spectacle financé par la Région ou commandé par Retailleau et son équipe ?
Ce spectacle a donc pour but d’assurer « le partage des héritages culturels aux jeunes générations« . La Région lui accorde donc un rôle mémoriel, historique voire même éducatif. Quel sera le sujet réel de cet Opéra-Rock ? D’après cette émission de Radio-fidélité (oui oui encore) ce sera « une page sombre de notre histoire » qui sera traitée. Plus précisément il s’agira de « faire revivre la guerre civile entre républicains et royalistes lors de la Révolution française« . Selon l’émission, les 50 000 euros financeront en autres un orchestre philharmonique, un grand chœur mixte et des « chanteurs connus« . Alan Simon, son auteur, rappelle qu’il veut raviver la mémoire d’un épisode un « peu honteux et tabou » de notre Première République qui aurait fait selon lui entre 200 000 et 300 000 morts dans le grand Ouest. Il n’a pas tort sur un point, ce n’est pas l’épisode historique le plus étudié à l’école et si il l’est, c’est souvent dans le cadre de la Terreur. La vision de l’histoire d’Alan Simon lui appartient, même elle est très loin d’être neutre. Afin de vous faire votre propre avis, voici les extraits du spectacle présenté au Conseil régional des Pays de la Loire.
Ce n’est néanmoins pas si étonnant que le financement de ce spectacle soit validé par Bruno Retailleau. Né à Cholet (49), il a présidé le parc d’attraction du Puy du Fou pendant plusieurs années. Il est très attaché à la mémoire et l’histoire de la Vendée et des Mauges. On sait que depuis une dizaine d’années, le débat autour des Guerres de Vendée prend un aspect de plus en plus politique. Depuis 2007, trois propositions de loi ont été déposés par des élus FN et UMP/Républicains pour que ces massacres soient reconnus comme étant un génocide. Parmi les dépositaires se trouvaient bien entendus de nombreux élus de l’Ouest mais également Jean-Marie et Marion Maréchal-Le Pen…(Il serait curieux de voir leur réaction si on affirmait mordicus que tout ceci n’est qu‘un détail de l’histoire)
Alors, même s’ils sont peut-être peu étudiés à l’école primaire et secondaire, la Chouannerie et les Guerres de Vendée restent un sujet très discuté mais loin d’être ignoré. Les Chouans et leur histoire sont par ailleurs assez bien connues par chez nous. Concernant les Guerres de Vendée, le statut de génocide restent en effet discutable. Visiblement peu approprié selon les historiens ce terme ne se définit pas tant par son ampleur morbide mais parce que « le crime n’est pas commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux« . En fait, le principal souci est qu’aujourd’hui si un historien universitaire tente de donner une vision plus éclairée de ces massacres et surtout moins passionnée, il est parfois considéré comme « un outil de la propagande républicaine » voire un révisionniste ou négationniste. Certains vont même loin, ce blog, un des premiers qui a évoqué ce spectacle s’est félicité de sa création mais à dénommer les socialistes opposés au projet comme étant les « héritiers des terroristes« . Certes, tout le monde ne réagit pas de manière aussi caricaturale, mais il faut quand même bien avouer que de telles remarques sur fond politique anti-républicain et royaliste ferment à coup sûr tout débat historique et mémoriel qui pourrait être passionnant. Si on évitait ce genre de raccourci basé à ce point sur l’affect on pourrait peut-être réaliser un réel « travail de mémoire » tant souhaité par certains.
Les massacres de Vendée ne sont pas une pièce maîtresse de notre mémoire collective mais ils ne sont pas tabous. La Région se défend en se basant sur la réputation d’Alan Simon, mais financer un Opéra-Rock sur Excalibur ou Tristan et Yseult n’a pas le même impact sur le public car ce sont des légendes. Et peu de chances que le spectacle sur Anne de Bretagne ait créé de réelles polémiques, sauf peut-être l’éternel débat sur la place de Nantes dans la Bretagne culturelle et administrative. Si on lit des extraits, le spectacle « Chouans » ne répond pas réellement à un devoir de mémoire mais donne une réponse orientée : celle de son metteur en scène. Et c’est cette réponse qui assurera « le partage des héritages culturels aux jeunes générations « . Cela pose question surtout si la l’Académie compte impliquer les établissements scolaires comme elle l’a déjà fait auparavant. Alan Simon est en effet un habitué des chorales scolaires.
Cette prise de position partisane, appréciée ou non, reste sans aucune nuance possible. En finançant jusqu’à 44% de son budget, la Région donne un très grand crédit à cette vision de l’histoire. En fait, on pourrait presque se demander si cet opéra-rock n’est pas une commande du Conseil régional, voire carrément de B.Retailleau même, davantage qu’un simple financement. Et ce ne serait pas la première fois que des personnes qui souhaitent dénoncer les massacres des Guerres de Vendée passent par l’art jusqu’à tomber dans une forme d’extrémisme et d’amalgames. Quand on utilise l’art et la scène au profit d’un message politique, cela porte un nom…
Le spectacle « Chouans » est prévu pour octobre 2017. Il devrait être présenté en Vendée, en Maine et Loire et en Loire-Atlantique. A ce jour, on ne sait pas si des établissements scolaires publics ou privés étudieront cet Opéra-Rock. Manque de bol pour les fans d’Alan Simon, le spectacle n’est pas encore prévu en Mayenne. Ironique lorsque l’on sait que la chouannerie prend racine dans ce coin…Quitte à payer le prix fort pour rejouer l’histoire à sa façon, autant le faire jusqu’au bout. Comme qui dirait par ici « C’est qui qui paye?«
Article mis en ligne le 30 mars 2017 à 00h00
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